Liberapay, plate‐forme libre de dons récurrents

[Article en licence CC-by-SA, issu du site Linuxfr.org]

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Liberapay est un service permettant de faire des dons récurrents, acceptant des dons à partir de 0,01 € par semaine, afin d’assurer aux créateurs un revenu stable, tout en offrant aux contributeurs la possibilité de payer suivant leurs moyens. Liberapay se démarque des autres plates‐formes de ce type en se finançant sur son propre modèle, et non pas par prélèvements sur les transactions.

Logo de Liberapay

Le financement des communs

Les personnes qui contribuent aux communs ont besoin de soutien. Construire des logiciels libres, diffuser les savoirs libres, ces choses prennent du temps et coûtent de l’argent, non seulement pour effectuer le travail initial, mais aussi pour le maintenir dans le temps.

Le financement des communs

Un rapport intitulé Roads and Bridges a été publié cette année par Nadia Eghbal sur ce sujet. Il y a une traduction française, Des routes et des Ponts, en cours sur le Framablog.
Il est consacré plus particulièrement à « l’infrastructure numérique », cette nouvelle catégorie de biens communs que l’on peut difficilement faire payer aux utilisateurs et qui n’est pas non plus financée par les pouvoirs publics comme l’est l’infrastructure routière classique. Trouver des moyens pour rémunérer ces biens communs dont fait partie le logiciel libre est important pour la santé de tout l’écosystème informatique. De façon plus générale, nous pensons que financer les gens qui enrichissent les communs est important, car ce qui fait partie des communs enrichit finalement toute la société.

Il existe des moyens variés de rémunérer les auteurs des communs. Nous avons choisi d’encourager le don avec Liberapay. Pas un pseudo‐don avec contrepartie, ni même du mécénat où le mécène associe son nom à de beaux projets ; non, nous parlons d’un vrai don désintéressé, autant que possible :

  • pas de contrepartie : les donateurs décident de donner pour ce qu’ils connaissent du travail de l’auteur, pour permettre à ce dernier de continuer son travail. Cela évite de perdre du temps à s’occuper de contreparties et dépenser une partie de l’argent dans des goodies pas franchement nécessaires. L’inconvénient étant que sans contrepartie, il faut vraiment être désintéressé pour donner, ce qui n’encourage pas tout le monde ;
  • anonymat : la personne qui reçoit le don ne sait pas qui lui a donné. Le donateur sait évidement à qui il donne et combien… mais il est le seul à savoir. Cela évite qu’un gros donateur puisse influencer les développements futurs. Cela évite aussi de tomber dans un salariat déguisé ;
  • stabilité : Liberapay veille aussi à fournir des revenus stables. Les dons sont hebdomadaires, récurrents et les donateurs sont encouragés à donner sur plusieurs semaines plutôt que tout en une fois. Ces dons hebdomadaires peuvent être très bas : 0,01 € par semaine minimum, soit 52 centimes par an… Ceci afin d’accepter toutes les contributions, même très modestes. Un donateur ne peut pas donner plus de 100 €/semaine à une personne ; cela évite à la fois que les revenus de quelqu’un soient trop impactés si l’un de ses gros donateurs arrête de donner et cela évite aussi que le don soit assimilé à un salaire déguisé. Si vous avez envie de donner plus, donnez aux équipes, à plus de projets, etc., les façons de dépenser son argent ne manquent pas !

Limites et inconvénients du don

La première limite est celle de la communauté. Même si le fait de ne pas gérer les contreparties réduit un peu le travail, il faut quand même prendre le temps de communiquer sur ses besoins financiers, et donc d’avoir des gens à qui le dire et qui seront prêts à aider. C’est une des choses que beaucoup de petits projets libres oublient de gérer, ce qui les dessert… Pourtant, pas besoin de savoir coder pour parler du projet sur tous les réseaux sociaux et souhaiter la bienvenue à ceux qui arrivent, c’est donc un boulot qui peut être délégué à un contributeur qui n’a pas les compétences sur la partie code. Créer et animer une communauté est un travail sur lequel il faut quand même se former, mais ça tombe bien, Framabook a édité un livre sur la question : Logiciels et objets libres. Animer une communauté autour d’un projet libre par Stéphane Ribas, Patrick Guillaud et Stéphane Ubeda. Pour les anglophones, je conseille aussi Community Building on the Web: Secret Strategies for Successful Online Communities d’Amy Jo Kim ; certains passages sont un peu datés, mais ça reste très pertinent sur toute la partie animation au sein d’une communauté. Il y a une tentative de résumé ici, pas finie, à retravailler, mais ça donne quelques bases quand même.

La seconde limite est liée à la législation. Eh, oui, les dons se déclarent ! Déclarer un salaire, ça va, c’est presque facile… Enfin, on trouve la doc. Déclarer un don qu’on a reçu, c’est vite compliqué suivant votre statut, votre pays, la somme reçue… Il y a plein de cas particuliers et, là, les informations sont assez éparpillées. Nous pouvons vous fournir quelques pistes parce que nous avons étudié la question, mais prenez aussi le temps d’aller demander aux services des impôts dans quelle case vous allez rentrer. Si vous faites déjà appel à un comptable, par ailleurs, posez‐lui aussi la question, c’est lui qui trouvera la meilleure façon de déclarer tout ça. S’il y a quelques juristes parmi les lecteurs et lectrices, nous serions ravis que vous nous aidiez à rédiger quelques fiches de conseils sur la question…

Fonctionnalités de Liberapay

Toute personne peut s’inscrire à Liberapay, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale. Ce sont les personnes qui vont pouvoir déposer de l’argent et en retirer sur Liberapay.

Les personnes peuvent s’organiser en équipes, ce qui permet à un collectif sans structure légale de recevoir des dons. Chaque membre de l’équipe décide de la part qu’il prend et le logiciel répartit les dons à l’équipe entre les membres de façon automatique. Pour éviter qu’un membre ne décide d’une semaine à l’autre de faire passer sa part de 1 à 100, il y a une fonctionnalité qui empêche de modifier cette part au‐delà d’un certain seuil d’une semaine à l’autre. Nous avons décidé de favoriser le consensus au sein des équipes : n’importe quel membre d’une équipe peut inviter d’autres personnes à rejoindre l’équipe et chaque membre décide de lui‐même de la part qu’il souhaite prendre. Pour le moment, il n’y a eu aucun problème avec ça, personne ne demande plus que « sa » part ; en fait, la plupart des contributeurs n’osent pas demander une vraie part au sein des équipes dans lesquelles ils travaillent…

Chaque personne et chaque équipe peut annoncer combien elle souhaite recevoir par semaine ; chacun est aussi libre de dire combien il reçoit et combien il donne. Les paramètres de confidentialités peuvent être paramétrés assez finement : chacun décide, finalement, de ce qu’il veut laisser public. En revanche, au sein d’une équipe, un tableau montre la part de chacun et ce qu’il a reçu la semaine précédente.

Paramètres du profil

Liberapay ne prend aucune commission sur les dons : nous utilisons aussi Liberapay pour fonctionner et nous ne comptons que sur les dons. Il y a en revanche quelques frais de transactions liés aux intermédiaires financiers, lorsque l’argent entre ou sort de Liberapay (suivant votre banque et votre pays). Si vous êtes dans l’espace SEPA, il n’y aura que les frais de Mangopay, notre opérateur de paiement, qui sont très bas et uniquement au moment de donner l’argent. C’est une des raisons qui nous a motivés à demander un débit minimum de 15 € aux donateurs, afin de réduire ces frais ; l’argent est ensuite dans votre porte‐feuille sur Liberapay et transféré aux bénéficiaires de vos dons durant chaque Payday. Si vous décidez de donner 0,01 € par semaine à une seule personne, par exemple, vous lui assurerez un revenu durant 1 500 semaines ! L’argent collecté peut être retiré directement sur votre compte bancaire, de façon gratuite au sein de SEPA.

Actuellement, nous acceptons les paiements par carte bancaire et virements ; nous avons prévu de mettre en place d’autres méthodes de paiement par la suite. Un de nos contributeurs souhaitait ajouter le support de bitcoin, par exemple, mais il n’a pas le temps de travailler dessus. Toutes les transactions sont actuellement en euros ; ajouter d’autres monnaies demande du développement et ce n’est pas pour tout de suite, mais ça viendra sans doute.

Liberapay permet de faire des promesses de dons à des utilisateurs qui n’ont pas encore rejoint le site. On peut d’ailleurs chercher ses amis contacts sur Twitter, Facebook, GitHub et Bitbucket pour le moment, peut‐être sur Diaspora* ou Movim un de ces jours ! Vous pouvez aussi lier votre compte à d’autres sites Web, dont votre profil LinuxFr.org.

« Viens sur Liberapay, je t’offre un café là‐bas ! », généré avec https://framalab.org/gknd-creator/

Il y a aussi des « communautés » pour regrouper les utilisateurs autour d’un point commun, par exemple un langage de programmation. Il est prévu d’ajouter la prise en charge des listes de diffusion au sein des communautés.

Le site est résolument multilingue. L’interface est déjà traduite dans de nombreuses langues, dont l’espéranto ; les traducteurs peuvent facilement contribuer via weblate. Chaque utilisateur peut aussi écrire son message de présentation dans plusieurs langues. La langue ne doit pas être un frein à l’utilisation d’un tel service et grâce aux traducteurs, c’est accessible à un grand nombre de personnes.

Enfin, nous proposons des « widgets » : des exemples de code à intégrer sur vos pages Web pour inviter les gens à vous faire des dons et pour indiquer combien vous recevez ou donnez.

Particularités

Liberapay est organisé sous forme d’association collégiale à but non lucratif. Non, nous ne sommes pas une entreprise ! Nous sommes basés en France et nous suivons donc la législation française, bien que nos services soient sur un serveur aux États‐Unis (hébergement par Red Hat). Si vous nous proposez un hébergement, on prendra, car visiblement Red Hat ne va pas continuer longtemps à héberger gracieusement des projets.

L’un de nos principes fondateurs est la neutralité. « Le service est ouvert à tous, l’association n’exclut un utilisateur que si elle en a l’obligation légale ou contractuelle. » (article 10 des statuts de l’association). Nous ne sommes pas la police d’Internet, ce n’est pas à nous de juger ce qui est bien ou mal. Nous pensons que la liberté de chacun doit être respectée, y compris celle des gens que nous n’aimons pas. Dans l’absolu, nous préférerions que l’exclusion d’un utilisateur dépende uniquement d’une décision de justice. En pratique, notre opérateur de paiement est moins neutre que nous et nous a déjà demandé virer un utilisateur ayant des convictions politiques extrémistes. Cette neutralité trouve aussi ses limites dans le respect de la loi : nous faisons ce qu’il faut pour lutter contre le blanchiment d’argent et, dans cette époque de lutte contre le terrorisme, nous répondons aux demandes des autorités. Il s’agit là uniquement de respecter nos obligations légales en tant qu’intermédiaire de paiement… Nous n’en ferons pas plus. Bon, et entre nous, pour blanchir de l’argent ou financer le terrorisme, il y a peut‐être plus efficace qu’un service qui limite à 100 € par semaine les donations d’une personne à une autre. Tout ça concerne des situations extrêmes : notre volonté de neutralité était surtout motivée, à la base, par l’idée que ce n’était pas à nous de trancher entre emacs et vim, ArchLinux et Debian, féministe ou je‐m’en‐foutiste.

Nous l’avons déjà dit, mais Liberapay est financé à travers lui‐même, via un compte équipe qui reçoit des dons destinés à l’entretien et l’amélioration du service.

C’est un vrai projet libre, bien au‐delà de la licence (CC0) : il est ouvert à tous et transparent. Vous pouvez contribuer, entrer dans l’équipe Liberapay et vous rémunérer. La licence peut surprendre pour du logiciel : nous l’avons hérité de la divergence d’avec Gratipay et, comme elle nous convient, nous n’avons rien changé.

La petite histoire

Liberapay est une divergence (un fork) de Gratipay. En 2012, Chad Whitacre a fondé Gittip aux États‐Unis d’Amérique, avec comme concept de payer les individus de manière récurrente pour leurs contributions, anonymement et sans contrepartie. Une première crise en 2014 amène des changements dans la gestion de la communauté ; en 2015, une crise légale amène Gittip à se renommer Gratipay, avec un fonctionnement complètement différent. Changaco, le fondateur et développeur principal se lance alors dans le fork, suite à une conversation sur Diaspora*, dans l’optique de proposer une alternative européenne, plus proche du Gittip originel, la neutralité en plus et avec un fonctionnement plus ouvert. L’association est créée en décembre 2015 et le site est lancé en février 2016.

À travers Liberapay, nous avons fait un certain nombre de paris assez audacieux : miser sur le don, sur le consensus, sur la neutralité… Après ces quelques mois d’existence, nous avons déjà eu affaire à des gens qui avaient une perception moins humaniste du monde, permettant de mettre à l’épreuve ces belles idées. De façon surprenante, ça marche assez bien et nous avons réussi à traverser les situations explosives sans trop de dégâts.

Liberapay et vous

Vous pouvez créer un compte sans forcément renseigner vos informations bancaires ; dans ce cas, nous pourrons vous tenir au courant des actualités par courriel. Il y a aussi plein de projets et de personnes qui seront ravis de recevoir vos dons (dont l’équipe de Liberapay !) ; vous pouvez aussi vous lancer dans l’aventure et encourager vos utilisateurs à vous rémunérer pour ce que vous faites.

Liberapay a besoin de fonds, mais aussi de contributeurs :

  • il n’y a que Changaco à plein temps qui travaille sur le code et il est loin d’être assez payé pour ça ;
  • côté développement, intégrer un forum à Liberapay ou les listes de diffusion seraient vraiment un plus, ainsi que diverses fonctionnalités ;
  • des graphistes ! Le site Web profite de Bootstrap pour ne pas être trop vilain, mais une vraie identité graphique serait tellement agréable, tout en veillant à l’accessibilité ;
  • si vous aimez traduire, vérifiez les traductions déjà faites et contribuez à traduire dans d’autres langues ;
  • si vous aimez le contact, communiquez sur Liberapay ! Et si vous n’êtes pas trop fâchés avec les réseaux sociaux privateurs, on veut bien un peu d’aide pour la promotion sur Facebook et Twitter…