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L’accompagnement vers la société qui vient…

Accompagner des personnes en difficultés avec les outils numériques demande parfois (souvent ?) de mettre de côté ses propres idéaux pour répondre aux besoins de ces personnes. Parfois, l’urgence dicte des solutions directes, celles qui sont les plus vues, les plus connues… et cela engendre des difficultés importantes.

LA solution miracle aux problèmes

Dans un contexte de crise, temporaire, dû aux questions importantes d’accessibilité numérique, ou plus large comme le contexte de crise du Coronavirus, nous recherchons des solutions, nous sommes même rassurés d’en voir et beaucoup plus enclins à en adopter une.

Dans ce contexte d’inquiétudes collectives ou individuelles, une solution présentée par une personne qu’on voit comme une personne de confiance (un proche, un ami, une figure d’autorité (médecin, enseignant, gouvernement…)) peut être in fine présentée de manière fallacieuse (en omettant des résultats peu probants voire des échecs patents) et devenir une vraie impasse. L’histoire de la médecine en est remplie car c’est un sujet souvent angoissant.

Il convient donc de garder une posture critique de prise de recul en ces temps d’anxiété où chacun peut avoir tendance à tout replacer sur ses propres comportements et choix individuels.

Zoom, un solutionnisme technologique

J’en ai parlé souvent en long, en large dans ce blog, des solutions open-sources, libres et souvent gratuites existent pour éviter de donner toutes vos données ou mots de passe à une entreprise ou à des intermédiaires peu scrupuleux. Le mouvement qui s’est accompagné sur l’adoption de cet outil dangereux est lié à la précipitation de nombreuses personnes souhaitant trouver une solution fiable en temps de crise. L’urgence n’est pas une solution.

« Atteindre une perfection technologique sans se préoccuper de la subtilité de la condition humaine et sans tenir compte du monde complexe des usages et traditions pourrait bien ne pas en valoir le prix »

Evgeny Morozov cité dans https://la-rem.eu/2015/04/solutionnisme/ consulté le 21 avril 2020.

Le criant manque de moyens dans un ministère

C’est le même type de mouvement qui s’est opéré vers Framasoft (vers des outils fiables pour le coup). Un nombre important d’enseignants se sont rués sur les solutions de Framasoft (Framapad entre autres) lorsqu’il a fallu faire des enseignements en ligne. L’association d’une trentaine de bénévoles et de neuf salariés a du publier un communiqué pour endiguer le trafic trop important sur ses services.

Le Meme-of-the-Day du canal framateam « pourrisage Gif/ meme » est signé Spf

Injonctions paradoxales, contexte d’urgence

Ce type de mouvements est le signe d’injonctions paradoxales. Mettre en place le télétravail sans moyens revient pour beaucoup à assumer une charge de travail angoissante : « comment choisir son outil de travail ? ». Une question rarement pensée dans l’urgence, car souvent impactant le travail à moyen et long terme. L’urgence nous pousse à penser « court terme » et à se retrouver avec des solutions inadaptées voire dangereuses.

Le bouche à oreille déformant faisant son affaire pour la suite, nous nous retrouvons avec de fausses solutions répondant à de faux dilemmes.

Reporter des problèmes collectifs sur des individus (librement éclairés dans leurs choix…) revient à leur faire porter une lourde charge cognitive. Cela permet aussi à une organisation de se défausser de sa responsabilité : ce n’est plus à l’organisation de penser ses outils, ce sont ses collaborateurs qui doivent en assumer la charge.

StopCovid et le questionnement

Je ne vais pas ici questionner la dimension technique de cette application (encore en discussion au moment où j’écris). Par contre, dans mes interventions, mes formations, je retrouve beaucoup de personnes n’étant pas à l’aise avec ces outils et j’y vois les limites et les questionnements nécessaires.

La tribune publiée par la députée Paula Forteza et Baptiste Robert montre les limites d’une telle application :

Plusieurs limites peuvent être soulevées. La première est celle de la fracture numérique. 77% des français sont équipés d’un smartphone en 2019. Ce chiffre tombe à 44% chez les plus de 70 ans, population que nous savons la plus vulnérable face à cette crise sanitaire. À ceci s’ajoutent les inégalités territoriales face à l’accès à internet et les difficultés d’usage dans certaines catégories de la population. En basant notre stratégie de sortie de confinement sur une application mobile, nous serions donc en train d’ajouter une inégalité de traitement au sein de la population française.

StopCovid, une efficacité incertaine pour des risques réels, Paula Forteza et Baptiste Robert, 18 avril 2020.
Extrait de l’infographie de la Quadrature du Net

Dans une tribune parue sur Libération, Gilles Babinet, Conseiller de l’Institut Montaigne sur les questions numériques, prône une solution de surveillance publique car contrôlée par des contre-pouvoirs démocratiques, plutôt qu’une solution menée par les GAFAM.

Les innovations numériques, sous un contrôle démocratique renforcé, peuvent accompagner la population française dans la sortie de crise. (…) c’est aussi se soumettre à de nouvelles formes de pouvoirs de type Gafam, qui ne manqueront pas de saisir ces opportunités de services abandonnés par les États, comme ils viennent de le faire en annonçant (dans un type de partenariat rarement observé entre Google et Apple) des fonctionnalités de backtracking.

Gilles Babinet, Tribune parue le 19 avril 2020 sur le site Libération.

Selon lui, surveiller, oui et surtout avec les outils de l’État.

Et c’est bien cette première assertion qu’il faut questionner. Quelques soient les outils, ils ne sont pas neutres. Ils répondent à un objectif : l’efficacité. Cette rationalité technique est une position de valeur.

« Le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses, la méthode absolument la plus efficace. »

Jacques Ellul dans Le Système Technicien, paru en 1977, chez Calmann-Lévy.

Confier à un outil la surveillance d’une épidémie n’est pas neutre. Cela engage une société dans des réflexes de surveillance et de délation. Dans la loi française, par défaut, tout citoyen est innocent. Un accusateur doit prouver son accusation avec des faits, des actes, des arguments (procédure inquisitoire). Avec ces pratiques, par défaut, tout citoyen devient potentiellement suspect. Les citoyens devront prouver leur « bonne foi » avec des attestations, une géolocalisation ou une application (procédure accusatoire et contradictoire). Toutes personnes ou tout discours sont suspects. Certains films relatant des réalités pourtant disparues, pourraient se révéler être des oiseaux de bien mauvaises augures…

Analyses, des ressources

Voici une liste de ressources pour aider à analyser la problématique que pose StopCovid.