une loupe et un livre

Intuitivité, outils et contextes de formation

L’intuitivité, ou comment rendre un outil très difficile à appréhender s’il n’est pas « facile » à apprendre… Idées reçues et contextes de formation.

L’intuitivité

Souvent ce qui est intuitif est ce qui tombe sous le sceau de la facilité, de l’évidence.

Interviendra aussi, en quelque sorte de biais, la question de l’individuation d’un quelque chose, opérée par les variétés de présentations, comme si périodiquement c’était l’intuitivité qui reprenait le dessus dans l’échelle du savoir.

(Paul Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, 2003)

Il s’agit d’un terme très discuté. En pédagogie par exemple, la Méthode intuitive s’adresse aux sens, de préférence à la mémoire, à la réflexion.

L’intuition indique une connaissance immédiate d’une réalité présente, l’intuition s’oppose aussi bien à l’expérience qu’au raisonnement.

L’intuitivité d’un outil serait donc la facilité avec laquelle il se comprend immédiatement, sans expérience de l’outil, avec évidence. Un outil « évident » est aussi un outil indiscutablement lisible.

Outils et logiciels

Linux sur RPI400

Lorsque j’interviens auprès de différents publics, les outils numériques peuvent paraître complexes, ou parfois complètement évidents et faciles à comprendre. Ces impressions d’évidence sont variables selon différents critères que j’ai pu remarquer.

L’évidence basée sur l’expérience

L’outil est perçu comme « évident » parce qu’il est comme un autre. Il lui ressemble, son interface est très similaire, les mots associés aux actions sont les mêmes, les fonctionnalités sont équivalentes. Ainsi, passer d’une version de LibreOffice à une autre ne pose généralement pas de soucis particulier : l’interface ne change pas, les définitions de fonctionnalités non plus. La personne est dans son environnement familier.

L’évidence basée sur les habitudes

L’outil est utilisé depuis des années pour des tâches très spécifiques mais documentées (tutoriels dans les documents partagés de l’entreprise). Situation typique : un publi-postage. Les étapes sont données pas à pas et à chaque nouvelle personne (salarié·es, stagiaires…) existe son tutoriel qui traîne depuis des années.

L’évidence basée sur le vocabulaire

L’outil est utilisé quotidiennement mais le passage à un autre outil entraîne des soucis de compréhension. Les fonctionnalités sont les mêmes, les outils sont équivalents pour la plupart des usages quotidiens mais leurs fonctionnalités ne sont pas nommées de la même manière. Exemple : Excel et Calc. Les « tableaux croisés dynamiques » de l’un sont nommés « tables dynamiques » chez l’autre.

L’évidence basée sur le rangement

Les fonctionnalités de l’outil sont les mêmes mais elles ne se situent pas dans les mêmes menus, voire nécessitent un clic supplémentaire pour y accéder. Par exemple : installer une application sur MacOS est un simple glisser-déposé sur une icône alors que sous Windows vous avez différentes façons d’y arriver (les .exe téléchargés, le Microsoft Store…).

L’évidence basée sur la compétence technique

Certains outils professionnels apportent avec eux un vocabulaire métier. Les fonctionnalités d’un logiciel « simplifié » vont être nommées avec des raccourcis, des noms de marque, celles d’un logiciel professionnel par leur objectif d’action précis. Un exemple avec Scribus, souvent perçu comme complexe mais justement parce qu’il fait appel à des compétences professionnelles (de Publication Assistée par Ordinateur) pour comprendre les actions à réaliser.

Les contextes de formation

Le but d’une formation est de permettre à des personnes d’acquérir des compétences, des savoir-faire, savoir-être et de les certifier ou valider par un diplôme, une certification. Je simplifie volontairement, nous aurions pu aussi parler d’objectifs stratégiques, de formation, opérationnels, pédagogiques, d’apprentissage, spécifiques…

L’acquisition de la pratique de nouveaux outils entraîne forcément des interrogations sur l’existant. Généralement, la réflexion sur l’adoption de nouveaux outils ne se fait pas avec les équipes d’une organisation mais avec leurs responsables ou les parties prenantes techniques (à cause des contraintes d’installation, budgétaires…). Et c’est bien là que nous avons un biais important. Reprendre avec les personnes leurs habitudes avec les outils existants, comprendre, échanger avec elles sur leurs pratiques c’est aussi leur permettre de se distancier avec leur outil du quotidien, et de se préparer au changement.

Téléphone ancien à cadran

Dans un cadre plus formatif, un centre de formation, un cursus scolaire le choix des outils est souvent une responsabilité mixte (l’élève et la structure). Si la formation propose de valider des acquis avec un objectif précis (un rapport de stage), l’élève pourra choisir son outil, si la formation a pour objectif la maîtrise spécifique d’une compétence (création de logos vectoriels, retouche photographique, par exemple) l’élève aura moins de choix et enfin, si la formation a pour objectif de former à une marque, un logiciel spécifique (Adobe Photoshop), l’élève n’aura pas d’autre choix que de se conforter à la volonté de la structure (qui aura été payée par Adobe pour en faire sa publicité gratuitement, enfin on l’espère pour le centre de formation).

Dans un contexte de médiation numérique le choix spécifique de l’outil importe peu. Il ne s’agit pas de faire monter en compétences sur des connaissances métier spécifiques mais d’atteindre un but, un objectif : écrire une lettre de motivation, concevoir un curriculum vitæ, déclarer un sinistre sur un site d’assurance… Le choix des outils doit se faire en ayant en tête des objectifs qui dépassent l’action de médiation elle-même. L’outil devient un prétexte à l’acquisition d’une autonomie avec les outils numériques. Un jeu vidéo pourra servir à accroître des compétences en motricité fine (manette, clavier/souris) qui serviront dans bien d’autres contextes (frappe au clavier plus rapide, acquisition de réflexes clavier/souris…).

Conclusion

L’intuitivité, l’évidence d’un outil dépendent du contexte des personnes, de leurs habitudes, de leurs objectifs de formation ou d’accompagnement. Un outil en soit n’est pas « intuitif » ou « évident ». Un logiciel professionnel sera intuitif et évident pour les personnes du métier et complètement inutilisable pour une personne n’ayant pas la connaissance des concepts spécifiques au métier. Il est nécessaire donc d’interroger les personnes sur leurs outils, et de mettre en perspective leurs objectifs d’apprentissage. Le choix d’un outil est nécessairement lié à ces problématiques.